Dans un continent où la majorité des denrées alimentaires circulent encore via des réseaux informels, Twiga Foods, startup kényane fondée en 2014, s’est imposée comme l’une des plus grandes disruptions agricoles d’Afrique. Ni une app de livraison classique, ni un simple grossiste, Twiga réinvente la chaîne d’approvisionnement entre producteurs agricoles et petits commerçants urbains, grâce à une logistique maîtrisée et une technologie sobre mais redoutablement efficace.
Une vision audacieuse : de la ferme au kiosque
L’idée est née d’un constat simple : chaque jour, des milliers de tonnes de produits agricoles pourrissent dans les zones rurales faute de débouchés, tandis que les marchés urbains sont saturés de revendeurs dépendants de plusieurs intermédiaires, aux prix fluctuants et aux délais incertains.
Twiga a créé une plateforme qui connecte directement les producteurs aux détaillants, en gérant chaque étape : collecte à la ferme, entreposage, livraison, et même financement. Grâce à son application mobile et à son centre d’appels, plus de 140 000 commerçants au Kenya peuvent commander des produits frais ou de grande consommation livrés directement à leur porte parfois dans la journée.
Une machine logistique bien huilée
Chaque jour, Twiga parcourt 12 000 km, distribue plus de 2 millions de kilos de marchandises et alimente un réseau de plus de 1 000 agriculteurs. Son infrastructure logistique (véhicules, entrepôts, hubs digitaux) rivalise avec les plus grandes chaînes de distribution européennes.
Mais cette efficacité a un coût. En 2023, la startup a connu un ralentissement brutal de croissance. Son fondateur Peter Njonjo a cédé la direction à Charles Ballard (ex-Jumia). Objectif : réorganiser l’entreprise, réduire les charges fixes, et adopter un modèle “asset-light” centré sur la technologie plutôt que la possession d’actifs.
Pivot stratégique : cap sur les produits de grande consommation
Après avoir dominé l’approvisionnement en fruits et légumes, Twiga s’est lancée dans la distribution de produits de grande consommation (FMCG). En 2025, elle a acquis trois distributeurs kényans – Jumra, Sojpar et Raisons – et lancé une nouvelle structure holding (NewCo) pour gérer cette diversification.
Ce changement d’orientation vise un marché plus vaste, plus rentable, et moins soumis aux aléas climatiques. Twiga devient ainsi un acteur hybride : à la fois plateforme logistique, centrale d’achat, distributeur B2B, et bientôt producteur à grande échelle via Twiga Fresh, sa ferme commerciale.
Une leçon d’innovation, mais aussi d’adaptation
Twiga Foods est une success story à deux visages. D’un côté, elle incarne l’ambition africaine à l’état brut : digitaliser, organiser, et rendre rentable l’agriculture informelle. De l’autre, elle nous rappelle que la scalabilité et la soutenabilité financière restent des défis majeurs pour les startups africaines à forte intensité capitalistique.
Licenciements, recentrage stratégique, restructuration… Twiga traverse aujourd’hui une phase délicate. Mais son pari reste d’actualité : faire de l’agriculture africaine un levier de transformation urbaine, économique et technologique.
Pourquoi cela compte
À l’heure où l’Afrique cherche à bâtir sa souveraineté alimentaire et ses champions industriels, Twiga est plus qu’une startup : c’est un laboratoire du futur. Une preuve qu’avec de la vision, de la technologie, et une compréhension fine des marchés informels, il est possible de construire un pont solide entre le producteur de village et le détaillant de la capitale.
Twiga n’a pas dit son dernier mot. Et l’Afrique entière suit son évolution de très près.